Les sites insolites du dark web
Lorsque le grand public entend parler du dark web, c’est souvent par le biais d’articles ou de reportages présentant un réseau diabolique, dans lesquels l’accent est mis sur la pédopornographie, la vente d’armes et de drogues ou les activités de hackers.
Certes, ces contenus sont réels, mais ils ne constituent pas la totalité de ce que l’on peut trouver sur le dark web. Il est utile de préciser ici que, si le dark web est un espace qui ne connaît pas la censure, tous les sites du réseau Tor ne sont pas malveillants, dangereux ou choquants. Il n’y a pas de filtre anti-bienveillance sur le dark web.
Ainsi, on trouvera sur ce réseau des sites utiles au bien commun, mais également des sites dont la raison d’être est plus floue. Il s’agit de sites farfelus, insolites ou en décalage complet avec l’image que l’on peut se faire du dark web.
1 – Les Mystery Boxes
Parmi les sites que nous allons aborder dans cet article, les Mystery Boxes sont les seuls à avoir une vocation marchande. Le principe de ces sites consiste à vendre des lots d’objets dont la nature n’est pas décrite explicitement mais qui sont censés provoquer l’effroi.
Page d’accueil du site Mistery Box (sic) et son colis mystère le plus cher.
On pourrait penser qu’il s’agit d’un marché inexistant. En effet, qui voudrait dépenser plus de 850$ pour un colis au contenu non-identifié ? C’était sans compter sur certains créateurs de contenus sur le clear web, notamment des youtubeurs, qui n’hésitent pas à commander ce type de produit pour ensuite se mettre en scène en train d’ouvrir le colis. On peut ainsi voir sur Youtube des vidéos très racoleuses, dans lesquelles des influenceurs découvrent le contenu de leur « terrible paquet » avec une émotion feinte, à grand renfort d’effets grossiers.
Dans une de ces vidéos, on peut constater que le caractère traumatisant du contenu du paquet repose bien plus sur l‘autosuggestion que sur le contenu lui-même : un ouvrage sur la médecine, une décoration de Noël, des chaussures d’enfant, une valise contenant des instruments chirurgicaux, un hachoir à viande et une boîte contenant des dents.
On assiste là à une symbiose parfaite entre des plaisantins du dark web et des youtubeurs : en même temps qu’ils font une publicité pour ce type de produit, les youtubeurs s’assurent l’audience d’un public en mal de sensations.
Ce qui semble n’être qu’un vaste canular du dark web est donc alimenté par des créateurs de contenus peu scrupuleux.
Le contenu du colis mystère
2 – Les sites animaliers
Loin du côté prétendument macabre des Mystery Boxes, on trouve sur le réseau Tor des sites dédiés à des animaux de compagnie. Le site aujourd’hui disparu Scottish Pups proposait ainsi des photos de chiots de race Terrier Ecossais.
Un site russophone ne contient quant à lui que deux magnifiques photos de chats, accompagnées du commentaire « Il n’y a rien ici, que des chats. Et ils sont nombreux. »
Trois sites apparemment créés par la même personne en août 2019 s’intéressent chacun à un animal domestique bien particulier : Frank The Snake, Channel Chirp et Pepper The Dog. Là encore, le contenu se limite à quelques photos bien innocentes.
Ces trois sites, encore actifs aujourd’hui, ne contiennent rien d’autre que des photos et quelques lignes de texte ; ils ne servent pas de paravent à une quelconque entreprise malveillante.
3 – Les véritables farceurs
Il arrive que le caractère facétieux de certains sites soit plus évident. Rendant hommage à la tradition du rickrolling, un site créé en juillet 2017, dont le nom de domaine commençait par « hacker » et qui laissait donc présager un site d’une certaine teneur ne comprenait en réalité que le clip vidéo de « Never gonna give you up » de Rick Astley.
Il n’y a en réalité aucune recette à proprement parler sur ce site, puisque chaque lien renvoie vers le site… du FBI.
Les forces de l’ordre peuvent également être les victimes de certains plaisantins malintentionnés. Une équipe américaine spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité a créé en mai 2021 un site sur le réseau Tor, afin d’afficher son tableau de chasse.
Au mois de février 2022, nous avons vu apparaître un miroir frauduleux de ce site, dont la particularité consistait à faire figurer en bas de page un bandeau publicitaire pour un site pédopornographique (Paradise Princesses) ; le bandeau redirige en réalité vers un autre site d’échange de fichiers d’abus sexuels sur mineurs, The Exchange.
4 – Les inattendus
Il arrive enfin que nous rencontrions des sites dont la présence sur le réseau Tor semble incongrue au regard de leur nature tout à fait anodine. En effet, quel pourrait être l’intérêt pour le club de ski nautique du lac de Serre-Ponçon d’avoir un site sur le dark web ? Ce fut pourtant bien le cas il y a quelques années. Dans cet ordre d’idée, le dark web francophone nous a réservé quelques surprises du même acabit.
En mai 2017, nous avons constaté l’apparition d’un site dédié à la gare d’Avallon (département de l’Yonne) et à la gare de Lormes (département de la Nièvre). Ce site disparu en octobre 2021 comprenait des documents sur les deux gares, ainsi que des photos de maquettes de locomotives.
Le train miniature avallonais
Notre outil de collecte de données a également capturé pour la postérité la très brève existence (janvier à février 2018) du site onion de la Fédération Ivoirienne de Sport Automobile (FISA).
Page d’accueil du site de la FISA
Nous avons parcouru tout le contenu indexé de ces sites et, là encore, nous n’avons trouvé aucune trace d’activité dissimulée. Il est donc avéré que ces sites ne prétendent pas avoir une fonction autre que celle qu’ils revendiquent, à l’image de ce qui semble être un site de l’office de tourisme d’un village du Land de Saxe en Allemagne, Clausnitz.
Clausnitz Im Erzgebirge
Les liens figurant sur cette page renvoient vers des sites du clear web et n’ont rien de douteux. La question se pose donc de nouveau : quel est le but de cette présence sur le dark web ? Une hypothèse pourrait être celle du défi technique. Le webmaster de chacun de ces sites pourrait avoir eu l’idée de tenter de créer une version onion de son site du clear web, pour la simple beauté du geste.
Enfin, à cette question « pourquoi », nous pouvons aussi répondre « pourquoi pas ? ». Comme dit en préambule, le dark web n’est pas un lieu réservé aux agissements d’individus peu recommandables ; il est seulement un lieu dont la vocation est de garantir un certain niveau d’anonymat, sans présumer des intentions de ses utilisateurs. Il paraissait donc utile de rappeler la diversité de ce que l’on peut trouver sur ce réseau trop souvent caricaturé dans des publications mal renseignées.